2023 Interview Self & Dragon Spécial AIKIDO
SELF ET DRAGON
SPECIAL AIKIDO
Interview 2023 par Germain CHAMOT
Hubert THOMAS : FACTOTUM HISTORIQUE DU KINOMICHI
Président de l’institut français du Kinomichi (IFK) et représentant du conseil supérieur du Kinomichi (CSK), Hubert Thomas s’entretient avec nous de l’histoire du Kinomichi. Proche élève de Noro Masamichi Senseï il nous dévoile le chemin qu’il a eu l’occasion de suivre à ses côtés.
Né en 1956, Hubert THOMAS pratique les arts martiaux depuis son adolescence : judo, aïkido, kenjutsu, kobudo… En 1974 sa rencontre avec Noro Masamichi Sensei a changé sa vision tant dans l’exécution des techniques que de l’approche pédagogique. La pratique du Kinomichi lui a permis d’obtenir le 8ème dan et le titre de Hanshi décerné par la Dai Nippon Butoku Kai en 2016. Il nous raconte son parcours.
Comment avez-vous débuté la pratique ?
J’ai commencé la pratique des arts martiaux en 1967 à l’âge de 11 ans par le Judo, jusqu’au premier dan. Très rapidement, jeune adolescent, j’ai débuté en parallèle l’Aïkido.
Avez-vous pratiqué d’autres disciplines ?
J’ai commencé l’Aïkido conjointement à l’apprentissage des bases d’autres arts japonais. J’ai pratiqué le kenjutsu et le kobudo jusqu’à un haut niveau. Dans les années 80, je me suis également intéressé également aux arts chinois avec des échanges en privé avec le champion du monde de kung-fu de 1987 à 1989. Toutefois, l’Aïkido a toujours été ma discipline principale.
Pourquoi l’Aïkido ?
Convaincu que j’étais plus adapté physiquement et mentalement à cette discipline, un de mes professeurs de Judo m’a envoyé pratiquer l’Aïkido. Il connaissait Noro Masamichi Senseï.
Rapidement le concept de l’art et sa philosophie m’ont intéressé. Ma pratique s’est rapidement intensifiée pour devenir quotidienne dans un dojo construit et dédié à l’Aïkido. Mes professeurs recevaient des experts et maîtres, français et japonais formés par Moriheï Ueshiba. Ils m’emmenaient à leurs stages. Leur amabilité et leur pratique m’ont séduit et m’ont conforté dans ce choix et je suis devenu directeur technique régional d’Aïkido des fédérations FFAK puis FFAAA de 1981 à 1986.
Comment avez-vous rencontré Maître Masamichi Noro ?
Il m’a été présenté par madame J. Villaret, qui avec monsieur P. Villaret, étaient mes professeurs. Elle avait été son élève gradée 2ème dan à Nîmes dans les années soixante. À partir de 1974, j’ai suivi maître Noro en stage, jusqu’en 1978. Représentant le dojo de Nîmes, j’ai également participé à des démonstrations qu’il organisait.
En 1979, à la création du Kinomichi j’ai continué l’Aïkido. J’ai approché le Kinomichi en 1986.
À partir de 1996 et jusqu’à son décès en 2013, j’ai intégré ses dojos successifs pour avoir une formation directe de sa part. Pendant ces années, je l’ai reçu chez moi régulièrement et je logeais chez lui où je disposais d’une chambre à côté de la sienne. Je suis devenu instructeur de Kinomichi formé par ses soins.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué chez lui ?
Outre la qualité de son expression du mouvement, son intelligence créative, sa vivacité, son ouverture d’esprit et sa gentillesse.
Comment avez-vous vécu le passage de l’Aïkido au Kinomichi ?
Très naturellement comme une évolution. Je n’ai pas l’impression d’avoir arrêté fondamentalement l’Aïkido. Noro Masamichi Senseï disait qu’avec le Kinomichi il cherchait à se rapprocher de son maître Moriheï Ueshiba.
Le passage s’est effectué en recevant de sa part un enseignement doux, progressif et global. Il m’indiquait de façon imagée que « lui est la lumière et que je dois être son ombre », qu’il transformerait mon expression corporelle en dix ans comme lui l’avait fait.
Dans ce contexte, j’ai assisté Noro Senseï pour la création des diplômes fédéraux et de la nomenclature technique du Kinomichi. Il me disait que nous devions développer le Kinomichi sans oublier que nous faisions de l’Aïkido.
Pouvez-vous nous parler du Kinomichi et du Kishin Ryu ?
Au milieu des années 2000-2010, Noro Masamichi Sensei voulait faire évoluer le Kinomichi avec les notions de Ki et Shin, et toujours pour référence l’Aïkido de Maître Ueshiba.
Il désirait que ses instructeurs obtiennent le diplôme d’État. Il demandait bien avant d’être à la FFAAA de passer le tronc commun du BEES. La partie spécifique n’existait pas. Il voulait également que le Kinomichi soit reconnu au Japon.
Aussi, à partir de 2011, devant l’impossibilité d’avoir des diplômes d’État car il fallait au moins être 2ème dan de la commission spécialisée des grades dan et équivalents (CSDGE) de l’union des fédérations d’Aïkido en France (UFA), il prit la décision de mettre en place les grades dan.
Compte-tenu de la législation en France, il me confia dès le début 2012 la délicate mission de conduire des discussions avec les responsables fédéraux et ceux de la CSDGE en France. La même année, il mit en place une hiérarchie par groupes basée surtout sur l’implication et l’ancienneté plutôt que sur le niveau technique.
Une opportunité se présenta pour démontrer le Kinomichi au Japon en 2012. En effet, après avoir connu Noro Masamichi Sensei au Budo Collège de Julien Naessens à Bruxelles en 1961, J.P. Cortier a été membre de la Dai Nippon Butoku Kai (DNBK).
Noro Masamichi Sensei envoya mes amis L. Forni J.P. Cortier et moi-même au Japon. Tous les trois avons fait deux démonstrations sans pouvoir être autorisés à emmener des partenaires. Par ailleurs, pendant plusieurs jours, en pratiquant différentes disciplines, nous avons été évalués par le Honbu de la DNBK composé de maîtres hauts gradés Hanshi 8ème à 10ème dan.
Sur décision des autorités japonaises et après avoir présenté le Kinomichi de Noro Masamichi Senseï, nous sommes référencés comme International Kishin Ryu Aïkido.
Puis, j’ai été désigné en 2015 « International Representative » pour la DNBK et j’ai reçu au Japon en 2023 le titre honorifique de « Chevalier » remis par la famille impériale en présence du Honbu ainsi que des autorités japonaises.
Étant Shihan depuis 2012, L. Forni, J.P. Cortier et moi-même sommes au Japon 8ème dan depuis 2015 et Hanshi depuis 2016, titre reçu après démonstration devant la princesse impériale.
Ces hauts grades japonais ont par ailleurs été reconnus par la CSDGE de l’UFA.
Quelles différences peut-on voir entre l’Aïkido et le Kinomichi ?
L’Aïkido et le Kinomichi utilisent les mêmes bases techniques.
Noro Masamichi Senseï a également étudié la gymnastique holistique de Lily Ehrenfried. Des élèves ont apporté d’autres aspects de gymnastiques douces comme l’Eutonie de Gerda Alexander, la méthodeFeldenkrais…
Aussi au début, l’apprentissage du Kinomichi se fait par un contact corporel sans recherche d’une protection physique vis à vis d’une agression. Cela modifie surtout la pédagogie ainsi que le concept et la forme visuelle extérieure des techniques.
Plus tard à un haut niveau de pratique, avec les notions de Ki et Shin, le Kinomichi rejoint l’Aïkido par un chemin différent au sommet de la même montagne des arts aïki.
Comment trouver l’équilibre entre enseignement et pratique personnelle ?
Je ne peux pas concevoir l’enseignement sans une pratique très régulière. En réalité nous effectuons un compagnonnage avec, comme nous l’avons eu, un apprentissage direct « d’humain à humain » avec tous les aspects que nous connaissons, notamment émotionnel.
Quels sont vos axes de pratique ou de recherche ?
Le Kinomichi est un Art qui est une discipline associée à l’Aïkido dans une fédération d’arts martiaux. Il ne faut pas se tromper sur la signification du terme art martial qui est ici en réalité un art de paix, de construction de l’individu et de la société. Ce chemin permanent de vie nous permet avec humilité d’accéder aux plus hautes aspirations.
Ce processus éducatif implique une recherche permanente de la maîtrise avec un mouvement fluide et une technique précise. Ce perfectionnement permet de transcender l’équilibre et l’efficience du geste. La recherche d’une harmonie, avec respect de l’intégrité corporelle et psychique, est faite dans le but d’accéder à une autre réalité.
La quête de cette progression est notre propre vie.
Comment enseigner ?
De mon point de vue, l’enseignement doit se faire avec du plaisir et de la joie mais dans la rigueur.
Le dojo doit être composé d’élèves assidus qui constituent une force collective unie, assez importante pour assurer une bonne progression technique et générationnelle.
Il me semble fondamental que l’enseignant transmette par ses actes et par la démonstration de techniques que lui-même maitrise.
Avec un esprit bienveillant, le respect d’une harmonie doit constamment prévaloir entre les partenaires. Par la technique, sa finalité et l’état d’esprit dans lequel le pratiquant doit la réaliser, nous pouvons nous rapprocher d’une transmission sincère et au plus juste.
L’enseignant doit évaluer la bonne compréhension par ses élèves de ce qu’il exige d’eux. Il doit aussi constater l’assimilation de son enseignement, la progression constante et régulière de leur pratique et maîtrise.
Depuis le décès de Noro Masamichi Senseï, la pluralité d’expression à partir d’une même base factuelle doit être respectée et encadrée.
L’enseignement est toujours basé sur une perception profonde de la relation et de l’action. En effet, l’élève reproduit ce qu’il voit et ce qu’il sent. Pas d’enseignement sans communication. Pas de communication sans véritable action.
Quel futur pour le Kinomichi ?
La plupart des arts martiaux connus en Europe et en France ont des origines parfois anciennes et les disciplines, y compris l’Aïkido, ont maintes fois changées de nom au cours de leur évolution. L’Aïkido moderne fondé par Moriheï Ueshiba a une centaine d’années. Après que les experts japonais soient arrivés en France pour faire connaitre et développer cette discipline, les pratiquants se sont peu à peu multipliés.
La fédération française d’Aïkido, aïkibudo, Kinomichi et disciplines associées (FFAAA) a fêté ses 40 ans en 2023.
Par comparaison, le Kinomichi est une jeune discipline fondée en 1979 qui doit se faire connaitre pour prospérer et se développer. Aussi, avec mes amis nous avons travaillé d’arrache-pied pour que notre discipline soit reconnue sur le plan institutionnel.
Notre discipline est regroupée au sein de la FFAAA. L’institut français du Kinomichi (IFK) est un organe national fédéral créé pour promouvoir et développer le Kinomichi sur le territoire national et dans les départements et régions d’outre-mer.
Avec l’encouragement de hauts gradés d’Aïkido et d’Aïkibudo, la fédération FFAAA et son président nous ont soutenus pour concrétiser le dossier des grades dan de l’UFA et celui des diplômes (fédéraux et d’État) pour enseigner dans le respect de la législation en France.
Dans un contexte juridique, administratif complexe et exigeant, nous avons obtenu la reconnaissance des pouvoir publics et les plus hautes distinctions d’État délivrées aux enseignants tel que le diplôme d’État supérieur de la jeunesse de l’éducation populaire et du sport (DESJEPS). Au Japon, nous bénéficions également d’une reconnaissance forte. Tout ceci complète la crédibilité de notre démarche à l’international.
Fort de cette structuration difficile mais nécessaire, la discipline fondée par Noro Masamichi Senseï, évoluera et se développera à l’image de l’Aïkido ou des autres arts martiaux.
Un subtil équilibre doit être en permanence recherché entre un système ouvert et démocratique qui donne l’accessibilité au plus grand nombre, et la nécessité d’une tradition martiale garante de la connaissance et de la progression de la discipline.
Le futur du Kinomichi est entre les mains des jeunes pratiquants et enseignants qui ont vocation à démultiplier l’enseignement original de maître Masamichi Noro. C’est dans ce sens que l’IFK organise des actions de formation pour l’obtention d’un brevet fédéral de Kinomichi destinées aux pratiquants qui souhaitent devenir enseignants.
Quelle question aimeriez-vous que l’on vous pose ?
J’aimerais que l’on me demande : et maintenant ?
Ma rencontre avec Noro Masamichi Senseï a changé ma vision tant de l’exécution des techniques que de l’approche pédagogique. La qualité des relations que j’ai pu nouée dans ce monde a évolué.
La pratique du Kinomichi en particulier, des arts martiaux et de l’Aïkido, m’a permis de connaitre ce que je n’aurais jamais imaginé pouvoir atteindre tout en ayant une marge de progression encore immense.
Aujourd’hui, chaque instructeur, enseignant et pratiquant peut se développer jusqu’au plus haut niveau dans un cadre accessible à tous, avec un respect profond de la tradition martiale sous toutes ses formes.